Anonyme

Agnès Bracquemond n’a jamais peint de tableau. Toutefois, à y regarder attentivement, la surface de ces sculptures possède la vitalité, la richesse et l’autonomie de constitution et de structure d’une surface peinte. La peau des sculptures d’Agnès Bracquemond est comme peinte, la texture de la matière est peinte plus que modelée.

La sculpture d’Agnès Bracquemond de filiation classique est très éloignée du classicisme, dans le sens où celle-ci est une sculpture inachevable. C’est la sculpture même qui interrompe son propre processus de «finition». C’est à partir de ce constat, qu’Agnès Bracquemond ne peut que revenir sans relâche sur une figure «inachevée» et qui, malgré les innombrables «études, esquisses» ne restera qu'inachevée, car inachevable ; seule la mort, en l’occurrence la destruction d’une sculpture pourrait être une forme d’aboutissement de «finition». La démarche créatrice d’Agnès Bracquemond rejoint en cela le processus communément utilisé par les graveurs qui peuvent proposer plusieurs états d’un même cuivre, sans qu’aucun de ces états successifs et autonomes ne soit une esquisse de celui à venir pas plus qu’il ne puisse être considéré comme un état définitif. Aucune sculpture d’Agnès Bracquemond n’a la prétention de l’état définitif, chacune d’elles se nourrissant quasiment physiquement de la précédente, elle n’est que transitoire de celle à venir. Démarche que l’on retrouve dans l’œuvre d’un Rodin, d’un Giacometti d’un Moore ou de Richier qui consiste en une forme d'«abandon » face à la puissance de la matière engendrant la forme que l’artiste va tenter de maîtriser et d’amener aux frontières de son champ  créatif. A l’inverse du plus grand nombre des artistes, qui dans l’entreprise de tâches à prétention définitives veulent se  mesurer aux Dieux, ces derniers, ont opté pour le chemin des humbles. Celui sur lequel chaque pas, chaque déplacement, chaque réelle avancée engendrant une progression, implique un renoncement à chacune des certitudes qui peuvent les entraver dans leur quête. Agnès Bracquemond a ainsi réduit son champ d'investigation depuis 1994, pour ne consacrer son énergie que vers cette « faille à la limite de l'équilibre et du déséquilibre » en dehors de toute narration. Les sculptures d’Agnès Bracquemond ne racontent aucune histoire, elles parlent de tension, de relâchement, de l’incertitude de chaque chose, du mouvement d’un corps dans l’espace, de l’espace autour d’un corps, de l’extrême attention nécessaire afin de transfigurer la matière inerte pour quelle devienne le réceptacle insondable de forces duales enfin réconciliées.

inédit, 2001