Guy Konopnicki

Les formes du Golem

Les mêmes formes, déclinées, à l’infini. Peut-être faut-il employer le singulier : la même forme, le même mouvement. Tenir la déclinaison en deux sens, celui de la grammaire et celui de la géométrie. Ces changements, perceptibles, imperceptibles se chargent de douleur et de mouvement : Agnès Bracquemond vit dans la prison des formes, ou de la forme, elle en reprend les contours, les brisures, les gestes. Des siècles de peinture, de dessin, de sculpture viennent et reviennent la hanter : son sujet n’est rien moins que l’humain, la forme humaine. Cette étrange chose que la Bible fait naître de la glaise : ce sont les premiers gestes de la Genèse qui reviennent, chaque jour, chaque nuit peut-être, dans l’attente du sculpteur. Les gestes d’un rabbi de Prague, artiste étrange qui s'aventura un peu trop loin et donna la vie à une statue. Agnès Bracquemond se tient en lisière, approchant, frôlant le passage de la matière vers cette autre chose, à jamais inexpliquée. La matière transcendée, disparaissant en tant que telle, ne laissant que l’émotion, au point que la sculpture semble désormais immatérielle ou, plutôt, élevée au dessus des éléments qui la constituent. Le Golem ou, cette autre version de la Kabbale, la pierre philosophale : la magie des éléments antagoniques, de l’inerte et du vivant L’élément minéral a disparu des sculptures d’Agnès Bracquemond, il ne reste qu'une charge d’émotion et de rêve, une intensité de sensations et de formes hantées.

Catalogue Fondation Arp – Galerie Vieille du Temple, 1994